jeudi 15 décembre 2011

Lunar-Swirl - Without a trace...





« Surveillant l'obscurité sans nom.

De l'autre côté des ténèbres.

C'est long jamais.

Gris comme son cœur.

La fragilité de tout enfin révélée.

La couleur de ce qu'il voyait remuait quelque chose en lui qui était depuis longtemps oublié.

S'il te plaît, ne me dis pas comment l'histoire va finir.

Pour disparaître à jamais le moment venu.

Des fantômes dont on était sans nouvelles depuis un millénaire qui s'éveillaient lentement de leur sommeil.

L'aube charbonneuse, le monde froid et opaque.

Les nuits étaient mortellement froides et d'un noir de cercueil et la lente venue du matin se chargeait d'un terrible silence. Comme une aube avant une bataille.

Il sortit dans la lumière grise et s'arrêta et il vit l'espace d'un bref instant l'absolue vérité du monde.

L'accablant vide noir de l'univers.

Du temps en sursis et un monde en sursis et des yeux en sursis pour le pleurer.

Si on a tout le temps l'œil ouvert ça veut dire qu'on a tout le temps peur ?

Si on a l'œil ouvert c'est qu'on a déjà suffisamment peur. Assez peur pour être prudents. Vigilants.

Un être d'une planète qui n'existait plus.

Il y avait toujours une part de lui-même qui souhaitait que ce fût fini.

Comme une tombe béante au jour du jugement dans une ancienne peinture de l'Apocalypse.

Nous dire ce que le monde est devenu.

Comment saurait-on qu'on est le dernier homme sur terre ?
Je ne crois pas qu'on le saurait. On le serait, c'est tout.
Personne ne le saurait.
Ça ne ferait aucune différence. Quand on meurt c'est comme si tout le monde mourait aussi.

Sans doute voyaient-ils tous deux des mondes différents mais ils savaient la même chose. Que le train resterait là et se désagrégerait lentement pendant toute l'éternité et que plus aucun train ne circulerait jamais.

Le monde allait être bientôt peuplé de gens qui mangeraient vos enfants sous vos yeux et les villes elles-mêmes seraient entre les mains de hordes de pillards au visage noirci qui se terraient parmi les ruines et sortaient en rampant des décombres, les dents et les yeux blancs, emportant dans des filets en nylon des boîtes de conserve carbonisées et anonymes, tels des acheteurs revenant de leurs courses dans les économats de l'enfer.

Il pensait à sa vie. D'il y avait si longtemps. Une journée grise dans une ville étrangère.

Une terre carbonisée, une terre de rien.

Ce qui t'entre dans la tête y est pour toujours ?

Crois-tu que tes ancêtres regardent ? Qu'ils marquent dans leur grand livre combien ils t'estiment ? Par rapport à quoi ? Il n'y a pas de grand livre et tes ancêtres sont morts et enterrés.

Des choses abandonnées depuis longtemps par des fugitifs en marche vers leur mort individuelle et collective.

Apparaissant et disparaissant comme dans un rêve incertain.

Les traces ne restent pas dans la cendre. Le vent les efface.

Il savait qu'il plaçait son espoir là où il n'avait aucune raison de rien espérer. Il espérait qu'il ferait plus clair tout en sachant que le monde devenait de jour en jour plus sombre.
Comme un homme qui se réveillerait dans une tombe.

Froide, désolée.

Parmi les cendres amères du monde.

Rare étaient les nuits où allongé dans le noir il n'avait pas envié les morts.

Qu'y avait-il à cacher ?

Dans l'obscurité, il pensait à sa vie mais il n'y avait pas de vie à laquelle penser.

Quoi qu'il arrive. Je ne t'enverrai pas seul dans les ténèbres.

Le dernier jour de la terre.

Il sombra dans un sommeil sans rêves.

La mer couleur de plomb bougeait au loin. Le silence.

Il se leva et partit vers la route. Le noir ruban du macadam menant de ténèbres en ténèbres.

Repartons à zéro.

Il y a des histoires au fond de toi dont je ne sais rien.

Peut-être que dans la destruction du monde il serait enfin possible de voir comment il était fait. Les océans, les montagnes. L'accablant contre-spectacle des choses en train de cesser d'être. L'absolue désolation hydropique et froidement temporelle. Le silence.

Il faut t'exercer. Ne renonce surtout pas.

Une lumière de plus en plus faible. D'anciens rêves qui empiétaient sur le monde à l'état de veille.

Dans ce couloir froid ils avaient atteint le point de non-retour qui depuis le commencement ne se mesurait qu'à la lumière qu'ils portaient avec eux.

Des cartes et des labyrinthes. D'une chose qu'on ne pourrait pas refaire. Ni réparer. »


La Route
(Cormac McCarthy)