jeudi 24 novembre 2011

NAKED LUNCH

lunar-swirl - naked lunch

« Depuis plus d’un an je n’avais pas pris de bain ni changé de vêtements. Je ne me déshabillais même plus – sauf pour planter, toutes les heures, l’aiguille d’une seringue hypodermique dans ma chair grise et fibreuse, la chair de bois du stade final de la drogue. Je n’avais jamais balayé ni rangé ma chambre. Boîtes d’ampoules vides et détritus de toute sorte s’entassaient jusqu’au plafond. L’eau et l’électricité avaient été coupées depuis longtemps faute de paiement. Je ne faisais absolument rien. Je pouvais rester immobile huit heures d’affilée, à contempler le bout de ma chaussure. »


« Pourquoi s’agiter, pourquoi perdre son temps ?

Nous n’avons rien ni personne à perdre.

Il est si gris, si anonyme et spectral qu’ils ne le voient même pas.

Je courais à côté de mon corps.

Parce que je ne suis qu’un fantôme et je cherche ce que cherchent tous mes semblables – un corps – pour rompre la Longue Veille, la course sans fin dans les chemins sans odeur de l’espace, là où non-vie n’est qu’incolore non-odeur de mort.

Tout y était… tout était joué… les ponts rompus… rien au-delà… l’Impasse.

Et sur tous les visages, la même fin sans espoir, la même impasse…

Attends-moi, attends-moi jusqu’à la fin des siècles.

D.T. : Démoralisation Totale.

Ils se terraient dans les coins sombres comme des chats névrosés.

Entre flou et net.

Sont-ils vraiment fichus ? Sans espoir de retour ?

Absence totale d’affect et quasi totale d’activité cérébrale.

Les rats de la jungle sont capables de se laisser mourir s’ils se trouvent brusquement confrontés à une situation sans espoir.

Perdu dans un rêve lointain…

Il se sentit soudain comme détaché de lui-même.

Yeux blancs de bête à bout de force, agonie suintant déjà de l’intérieur, terreur sans espoir reflétant le masque de la mort.

Des yeux morts, d’un froid de profondeurs océaniques, sans la moindre trace d’affection, ni de désir, ni de haine, ni de quelque autre sentiment.

Des yeux au regard tout ensemble intense et glacé, avide, impersonnel.

Dans les ténèbres des profondeurs.

Des yeux d’insecte qui ne rêve jamais.

El Hombre Invisible

Il vécut dès lors dans un état de transparence variable… Il n’était pas à proprement parler invisible mais du moins très difficile à voir. C’était à peine si l’on remarquait sa présence. On l’assumait comme une vue de l’esprit, ou on le rejetait comme un reflet ou une ombre.

Des yeux vides et calmes d’insecte.

Cet endroit est impossible.

Je vous répète que je ne peux pas me défaire de l’impression qu’il y a dans tout ça quelque chose de diabolique.

… Sans espoir, le malheureux a dû mourir dans le cachot de son crâne parce que ses yeux se sont brusquement éteints, on n’y voyait pas plus de vie que dans un œil de crabe piqué au bout d’un bâton…

Un œil sans âge d’insecte sans rêves.

Il est d’apparence sinistre, mystérieuse, il a des gestes et des tics incompréhensibles, il évoque la police secrète d’un État embryonnaire.

Arack’ Nid

Dans toute sa morgue glaciale.

Nous faisons tous de grands efforts, mais il nous arrive d’échouer…

L’odeur lourde et incolore de la mort planait dans la pièce vide.

Quand ils me sont tombés sur le dos, j’ai tout de suite compris qu’il ne me restait qu’une seule chance, la dernière.

Je savais que je n’avais guère de chances de m’en tirer, mais c’était mieux que rien.

J’étais de l’autre côté du miroir de l’univers.


Que faites-vous ici ? Qui êtes-vous ? Mais je ne sais pas ce que je fais là ni même qui je suis.

Et tu ne seras pas là pour la Fin…

Solitude qui gémit d’un bout à l’autre du continent comme des cornes de brouillard au-dessus de l’eau lisse et huileuse des estuaires…

Plus ce qu’on aime arrive souvent plus c’est merveilleusement unique.

Si Dieu a inventé quelque chose de mieux il l’a gardé pour lui.

Retour du pays des morts. »


Le festin nu
(William S. Burroughs)